B. LE RECOURS À DES CONTRACTUELS NE DOIT PAS ÊTRE LE MODÈLE PRIVILÉGIÉ DÈS LORS QU'IL EXPOSE LE MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR À UNE PERTE DE COMPÉTENCES

1. La contractualisation peut être sollicitée de façon ponctuelle mais ne doit pas être un obstacle à la réinternalisation des compétences, notamment dans le domaine informatique
a) Un recours aux contrats fondé pour des compétences très spécifiques à court terme ou lié à la structure de la personne publique employeur

L'article L. 311-1 du code général de la fonction publique (CGFP) pose le principe selon lequel les emplois civils permanents de la fonction publique ont vocation à être confiés à des fonctionnaires.

A contrario, il est possible de recourir à des agents contractuels sur des emplois non permanents soit en cas « d'accroissement temporaire ou saisonnier d'activité », soit lorsque « cette charge ne peut être assurée par des fonctionnaires de l'État », conformément aux dispositions de l'article L. 332-22 du CGFP.

Toutefois, il est possible de recruter des agents contractuels pour répondre à des besoins permanents de l'administration, dans des cas limitativement énumérés par le CGFP76(*), et par exemple :

- sur l'ensemble des emplois permanents au sein des établissements publics de l'État ;

- lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ;

- lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient, notamment, pour des fonctions nécessitant des compétences techniques spécialisées ou nouvelles ou lorsque l'autorité de recrutement n'est pas en mesure de pourvoir l'emploi par un fonctionnaire de l'État présentant l'expertise ou l'expérience professionnelle adaptée aux missions à accomplir dans un certain délai.

Ainsi, le recrutement massif de contractuels à l'échelle de tous les programmes de la mission AGTE se fonde sur une utilisation maximaliste de ce cadre légal.

Par exemple, le recrutement de contractuels par le CNAPS est justifié par le statut juridique de cette entité, qui est un établissement public administratif. Au sein des 78 % d'effectifs contractuels du CNAPS, 36 % sont des fonctionnaires détachés sur contrat. Lors de son audition par la rapporteure spéciale, le directeur du CNAPS a par ailleurs affirmé que le recours à des juristes ou des informaticiens par contrat ne posait pas de difficulté pour l'établissement public, qui s'engage d'ailleurs dans une démarche de « CDIsation ».

De même, la large majorité de contractuels au sein du SAAMI a permis de recruter des agents issus du secteur de l'assurance, qui lui apportent leurs compétences professionnelles et leur expérience dans ce domaine, et alors qu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes.

Si la rapporteure spéciale estime que pour ces cas particuliers et ces compétences précises, la contractualisation peut être une richesse à court et moyen termes, il n'en va pas de même s'agissant des métiers informatiques, alors même que le ministère de l'intérieur a présenté des engagements forts en matière numérique dans le cadre de la LOPMI.

b) Un recours plus problématique à une contractualisation poussée dans le domaine informatique, dans le cadre de la montée en puissance numérique du ministère de l'intérieur

Dans le domaine informatique, le recours à des contractuels est bien moins évident, dès lors qu'il existe des corps de fonctionnaires dédiés, d'ingénieur des systèmes d'information et de communication (SIC) du ministère de l'intérieur (catégorie A) et de technicien (catégorie B). Par ailleurs, en 2025, la maîtrise de compétences informatiques poussées devient incontournable à l'heure de la transformation numérique et du développement de l'intelligence artificielle, et doit devenir une véritable compétence de l'État et ses services.

Des années de contractualisation, à défaut de développer des compétences propres, ont conduit l'État à alimenter sa propre dépendance vis-à-vis de contractuels, voire de prestataires extérieurs. Auditionnée par la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques77(*), la secrétaire générale du Gouvernement, Claire Landais, avait affirmé que « dans le champ informatique et numérique, il est évident que le recours aux cabinets de conseil est lié à des manques internes, qui sont comblés par des compétences extérieures pointues ».

Le directeur de la transformation numérique, auditionné par la rapporteure spéciale, a indiqué que si le ministère de l'intérieur s'était lancé dans une trajectoire de réinternalisation des compétences en matière informatique et numérique, celle-ci allait toutefois être difficile à tenir au regard de l'absence de créations d'emplois en 2025. Outre des postes supplémentaires, la limitation de la contractualisation passe aussi par la valorisation de l'attractivité des postes existants.

2. La contractualisation illustre plus profondément un manque d'attractivité de la fonction publique, à laquelle des réponses à la marge ont pour l'instant été apportées par le ministère de l'intérieur
a) Un manque d'attractivité des services préfectoraux constaté et reflété par le nombre de postes non pourvus

Afin de mesurer l'attractivité de l'administration territoriale de l'État, deux indicateurs de performance, introduit par la loi de finances initiale pour 2023, renseignent le nombre et de pourcentage de postes non pourvus au niveau national (indicateur 1.1) et le nombre de préfectures dont le nombre de postes non pourvus est supérieur à 3 % (indicateur 1.2). Pour le premier indicateur, l'objectif cible pour 2024 est de 670 postes et 3 % de postes non pourvus au niveau national. Pour le second indicateur, la cible est de 55 préfectures, dans l'optique d'identifier les préfectures les plus en difficulté. Le bilan relatif à l'atteinte des objectifs fixés en termes de saturation des postes pourra être réalisé à l'issue de l'exécution 2024, à laquelle la rapporteure spéciale sera attentive.

Selon les données transmises par la DMATES, au mois de juin dernier, dix préfectures présentaient un taux de vacance le plus élevé sur les postes pérennes, de 8 % en Saône-et-Loire à près de 14 % dans les Alpes-Maritimes.

Face à cette situation, la posture de la DMATES semble assez passive, en déplaçant le centre de gravité du problème vers les agents eux-mêmes, qui seraient désireux de rester peu de temps sur les postes. Si la rapporteure spéciale ne nie pas ce phénomène, elle considère qu'il s'agit uniquement d'un volet d'un problème plus large, auquel la DMATES apporte peu de réponses concrètes en termes de vie quotidienne pour les agents. En effet, le ministère de l'intérieur a simplement indiqué que « la réduction du taux de vacance, qui explique une partie du recours aux contractuels infra-annuels, passe par une action de long terme pour améliorer l'attractivité des postes, des carrières et des territoires, ce qu'a entrepris le ministère de l'intérieur depuis plusieurs années, avec des mesures catégorielles dédiées à certains métiers de l'administration territoriale, une facilitation des mobilités ou encore des relocalisations de services centraux dans des territoires considérés comme peu attractifs ».

Plus concrètement, la rapporteure spéciale insiste pour accélérer le recours à l'intelligence artificielle dans le traitement des dossiers, afin de fluidifier certaines tâches (délivrance des titres, aide à l'analyse des mémoires et préparation de trames de mémoires en défense dans les services d'éloignement,...), et ce alors que le ministère de l'économie et des finances a déjà commencé à mettre en place des systèmes d'intelligence artificielle, notamment en matière de gestion fiscale et de lutte contre la fraude78(*).

Par ailleurs, pour les postes en CERT peu attractifs pour les fonctionnaires, la rapporteure spéciale préconise de nouveau sur l'extension du télétravail pour les agents des CERT CNI et passeports79(*), dont la nature des données traitées suffit pas à elle seule à justifier l'impossibilité de la mise en place du télétravail.

b) Une amélioration sensible de l'attractivité des métiers informatiques, qui s'accompagne d'une professionnalisation de la fonction de recrutement

Plusieurs mesures ont été mises en oeuvre s'agissant de l'attractivité des métiers informatiques, coordonnées par la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur et la DTNUM. 

En premier lieu, le ministère de l'intérieur s'est engagé dans une démarche de contractualisation plus « fidélisante » pour les métiers informatiques, si bien que près de 80 % des contrats proposés aujourd'hui sont des CDI, avec un grand nombre encore de stock de CDD en cours.

En deuxième lieu, si les marges de manoeuvre budgétaires sont limitées pour 2025, le présent projet de loi de finances procède toutefois à une revalorisation des rémunérations des contractuels dans la filière numérique, pour un montant de 2,1 millions d'euros, et le projet de création d'emplois fonctionnels de chefs de projet SIC, pour un coût de 0,08 million d'euros. Ces revalorisations interviennent dans le contexte d'une actualisation, en janvier 2024, du référentiel de rémunération des 55 métiers de la filière numérique élaboré avec la direction générale de l'administration et des finances publiques (DGAFP) et la direction du budget.

En troisième et dernier lieu, les délais de recrutement ont diminué de 50 jours en deux ans. Cette amélioration a été permise grâce à une professionnalisation de la fonction de recrutement, nécessaire afin de capter le plus rapidement les meilleurs profils.

Si la rapporteure spéciale salue ces évolutions, il convient toutefois de mettre en cohérence les rémunérations du corps des ingénieurs SIC de catégorie A, dont la grille indiciaire est plate depuis dix ans, afin de rendre le concours au moins aussi attractif que le recrutement sur contrat pour exercer une tâche précise.


* 76 Tous ces cas sont prévus par les articles L. 332-1 et suivants du code général de la fonction publique.

* 77 Rapport d'information n° 578 (2021-2022) au nom de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques sur « Un phénomène tentaculaire : l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », par M. Arnaud Bazin et Mme Eliane Assassi.

* 78 L'intelligence artificielle dans les politiques publiques : l'exemple du ministère de l'économie et des finances, Cour des comptes, octobre 2024.

* 79 Rapport d'information n° 413 (2023-2024) au nom de la commission des finances pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la délivrance des titres d'identité et de circulation, fait par Mme Florence Blatrix Contat.

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