SECONDE PARTIE
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET LES POINTS
DE VIGILANCE DE LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

I. UNE CONTRACTUALISATION MASSIVE DES EFFECTIFS DES SERVICES DÉCONCENTRÉS ET CENTRAUX DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR EN DISSONANCE AVEC LE CARACTÈRE RÉGALIEN DES MISSIONS ASSUMÉES

A. UNE CONTRACTUALISATION DIFFUSE QUI CONCERNE TOUS LES PROGRAMMES DE LA MISSION ET LES OPÉRATEURS

1. Une contractualisation accrue des services préfectoraux concomittante à la baisse continue des effectifs
a) Une contractualisation marquée au sein des services préfectoraux, qui ne se tarit pas, particulièrement pour les CERT

En 2024, le taux de contractuels au sein de l'administration territoriale de l'État atteint 13,5 %.

La contractualisation est encore plus marquée s'agissant de certains services, et plus particulièrement les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui ont remplacé les services « titres » des préfectures et sous-préfectures, à partir d'avril 2017 pour les documents d'identité des personnes (CNI et passeports), et de novembre de la même année pour les permis de conduire et les certificats d'immatriculation des véhicules. En effet, depuis leur création, les effectifs des CERT ont toujours été constitués d'un taux de contractuels de l'ordre de 25 %, avec un pic à près de 29 % en 2023. Depuis 2022, ce sont les CERT dédiés aux CNI et passeports et certificats d'immatriculation de véhicule qui sont composés de la plus grande part de contractuels. Par exemple, pour l'année 2023, l'ensemble des CERT CNI et passeports comprenaient 42,5 % de contractuels dans leurs effectifs. La rapporteure spéciale relève à ce titre une certaine incohérence entre le fait d'interdire le télétravail pour des raisons de sécurité informatique dans ces CERT, tout en confiant une grande partie des missions à des agents contractuels.

Répartition des effectifs entre titulaires et contractuels dans les CERT
de 2018 à 2024

(en milliers)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La politique de contractualisation au sein des préfectures s'explique principalement par les suppressions de poste sur la période 2010-2020, qui ont engendré plus particulièrement le recrutement de vacataires au sein des CERT et des services étrangers. Dans son rapport de 202273(*), la Cour des comptes a pris le soin de préciser que les « vacataires » dont il est question, improprement désignés par le ministère de l'intérieur, « ne sont pas des agents recrutés pour une mission spécifique et rémunérés à la vacation, qui correspondent à la définition légale des vacataires. Il s'agit d'agents contractuels remplissant des missions permanentes mais recrutés sur des contrats infra-annuels ».

b) Une utilisation de plus en plus fréquente des vacataires non comptabilisés dans le schéma d'emplois

En 2022, la Cour des comptes constatait que les vacataires représentaient de manière pérenne 10 % des emplois en préfectures. En 2023, la durée moyenne des contrats était de l'ordre de 376 jours, illustrant ainsi la forte part des contrats infra-annuels au sein des recrutements sur contrat.

Le plan de renfort triennal susmentionné de 2022 à 2024, en vue de soutenir l'activité des services « étrangers », est symptomatique de cette politique du recours aux contrats infra-annuels pour exercer pourtant des missions permanentes.

La rapporteure spéciale déplore ce dévoiement du schéma d'emplois, qui permet de masquer la réalité des besoins en termes d'effectifs, notamment au sein des services en charge du séjour, de l'éloignement et de l'asile. En effet, particulièrement dans ces services, les préfectures signent des contrats de très courte durée, renouvelés autant que de besoin, souvent avec le même agent, jusqu'au 30 décembre où tous les contrats expirent afin de ne pas peser sur le schéma d'emplois.

La rapporteure spéciale a pu directement constater cette situation lors de son déplacement à la préfecture d'Indre-et-Loire. Les contractuels composant les services « étrangers » y sont tous recrutés pour une très courte durée, en général de l'ordre de 3 à 6 mois, mais jamais plus d'un an. Il apparaît ainsi que les contrats à durée déterminée de trois ans, qui se pratiquent pourtant dans le reste de la fonction publique, ne sont jamais utilisés dans leurs services « étrangers ».

En réaction à la recommandation de la Cour des comptes, qui entendait limiter le recours aux contrats infra-annuels au sein des préfectures74(*), le ministère de l'intérieur a mentionné qu'il s'agissait d'une modalité adaptée en cas de pic d'activités, et « s'avère également pertinent pour faire face de façon ponctuelle à la vacance temporaire de certains postes, du fait de mobilités ou d'absences d'agents titulaires »75(*).

2. Une contractualisation poussée également observée au niveau des services centraux du ministère de l'intérieur et des opérateurs de la mission

Au-delà des préfectures, les services centraux du ministère de l'intérieur ont aussi massivement recours à des contractuels. Pour 2025, dans le cadre du plafond d'emplois de 10 931 ETPT demandés pour le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », le ministère de l'intérieur estime à 28,7 % la part des contractuels dans la catégorie des personnels administratifs. Il convient de relever que pour ce programme, les autres catégories d'emploi ne recensent que des titulaires, les contractuels, qu'ils soient techniques ou administratifs, étant comptabilisés dans la catégorie des emplois administratifs.

Le programme 232 « Vie politique » n'échappe pas non plus à ce phénomène. En 2024, 70,9 % des effectifs de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sont des contractuels. En effet sur les 55 ETPT autorisés par le plafond d'emploi, la commission compte 16 fonctionnaires et 39 agents contractuels (13 en contrat à durée indéterminée - CDI, et 26 en contrat à durée déterminée - CDD).

Enfin, la proportion de personnels contractuels est encore plus importante s'agissant des différents opérateurs de la mission AGTE.

Tout d'abord, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), opérateur dont les crédits sont rattachés au programme 216, est composé à 64 % d'agents contractuels, et 30 % des effectifs sont recrutés sur contrat à durée indéterminée. Selon les informations transmises par le CNAPS, ces proportions sont stables depuis cinq ans.

Le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS)

Le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) est un établissement public administratif, placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur, avec une tutelle métier de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), et une tutelle financière de la direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier (DEPAFI). Il est chargé de contrôler les activités privées de sécurité régies par le livre VI du code de la sécurité intérieure (surveillance et gardiennage, transports de fonds, protection de l'intégrité physique des personnes, sûreté aéroportuaire, recherches privées et protection des navires). Il exerce ainsi des missions de police administrative d'autorisation des activités visées, de contrôle et de sanction disciplinaire, mais aussi de conseil et d'assistance à la profession.

Les services centraux du CNAPS s'appuient sur sept délégations territoriales sur le territoire métropolitain, dirigées par des délégués territoriaux qui sont des attachés principaux, et quatre antennes en outre-mer, qui sont seulement chargées de faire du conseil sur place, l'instruction des dossiers étant réalisée en métropole, grâce aux procédures de dématérialisation. Les décisions individuelles, d'acceptation ou de refus d'autorisation d'exercer les activités privées de sécurité, sont prises au niveau territorial par les chefs des délégations, chacun disposant à cet effet d'une délégation de signature du directeur du CNAPS.

Cet établissement public est financé par une subvention pour charges de service public, et, depuis 2023, par une subvention pour charges d'investissement qui s'élève à 17,5 millions d'euros, montant constant depuis 2017, inscrit sur le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Le projet de loi de finances pour 2025 opère un rebasage de la subvention pour charge de service public, de l'ordre de 0,87 million d'euros, afin de financer les mesures générales de revalorisation des rémunérations au sein de la fonction publique, portant ainsi le budget total du CNAPS à 18,37 millions d'euros.

Son plafond d'emplois est quant à lui de 217 ETPT pour 2025, soit en diminution de 4 ETPT par rapport en 2024, transférés au service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS). Cette externalisation de certaines enquêtes préalables dites de « moralité » dès le stade de l'entrée en formation, qui représentent un volume de 25 000 enquêtes, doit permettre d'accroître la célérité des contrôles menés, dans la mesure où le SNEAS a un accès direct aux fichiers de renseignements.

Si ce plafond d'emplois n'a pas permis pour l'heure d'augmenter le nombre de contrôles, de l'ordre d'un contrôle par entreprise tous les six ans en moyenne, le directeur du CNAPS estime que l'intensification des contrôles sera un des enjeux pour les années à venir, au regard du nombre croissant d'entreprises de sécurité privée en France (12 000 entreprises, dont 8 000 autoentreprises).

Source : commission des finances, d'après les éléments transmis par le CNAPS

De même, pour l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), opérateur rattaché au programme 354, la part des contractuels prédomine nettement, avec des effectifs composés à 78 % d'agents contractuels. La part des agents recrutés en CDI est toutefois croissante, et représentent 63 % des recrutements contractuels.


* 73 Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.

* 74 Recommandation n° 3 du rapport sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État.

* 75 Réponses au questionnaire budgétaire.

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