II. UNE REVALORISATION SALUTAIRE DES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT, ENCORE INADAPTÉS À LA HAUTEUR DES ENJEUX
A. UNE AUGMENTATION DE TOUS LES POSTES DE DÉPENSES DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT, AVEC UN EFFORT MARQUÉ À DESTINATION DE SON IMMOBILIER PARTICULIÈREMENT DÉGRADÉ
1. Une hausse globale des crédits du programme 354 s'inscrivant dans le cadre de la programmation budgétaire
Le présent projet de loi de finances prévoit de porter les crédits du programme 354 « Administration territoriale de l'État » à 2 665,65 millions d'euros en AE et 2 746,23 millions d'euros en CP, ce qui représente une hausse de + 4,3 % en AE et + 3,1 % en CP à euros courants, et de + 2,4 % en AE et + 1,4 % en CP à euros constants.
La hausse de tous les postes de dépenses de ce programme s'inscrit dans le cadre de la programmation pluriannuelle de la LOPMI, avec même une augmentation des crédits hors titre 2 légèrement supérieure à la programmation24(*).
Tout d'abord, les dépenses de personnels sont en hausse de 51,4 millions d'euros par rapport à 2024 dans le projet de loi de finances initiale pour 2025, ce qui représente une augmentation de + 2,5 %. Cette dernière s'explique par le poids de la masse salariale, et par l'évolution des effectifs.
Ensuite, en ce qui concerne les dépenses hors titre 2, elles évoluent de 61,9 millions d'euros en AE par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, du fait principalement du renouvellement des marchés d'électricité et de gaz, dépenses qui font l'objet d'un engagement pour deux ans, et de 31,3 millions d'euros en CP, à raison de la revalorisation des dépenses immobilières et des crédits alloués au numérique. Les dépenses numériques s'élèvent à 48 millions d'euros au titre du projet de loi de finances pour 2025, soit une hausse de 3 % par rapport à 2024, afin d'assurer le maintien en condition opérationnelle des installations et le renouvellement du matériel informatique, notamment induit par le projet de migration des systèmes d'exploitation vers Windows 11.
Seuls les crédits dits de fonctionnement courant, relatifs notamment aux dépenses liées au parc automobile, stagnent par rapport à 2024.
Évolution des crédits par action du programme 354
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Exécution 2023 |
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution 2025/2024 |
Évolution en volume |
Coordination de la sécurité des personnes et des biens [01] |
AE |
183,3 |
187,8 |
198,6 |
5,7 % |
+ 10,8 |
CP |
183,3 |
187,8 |
198,6 |
5,7 % |
+ 10,8 |
|
Réglementation générale, garantie de l'identité et de la nationalité et délivrance des titres [02] |
AE |
501,4 |
461,4 |
474,2 |
2,7 % |
+ 12,8 |
CP |
501,4 |
461,4 |
474,2 |
2,7 % |
+ 12,8 |
|
Contrôle de légalité et conseil aux collectivités territoriales [03] |
AE |
140,4 |
143,3 |
146,8 |
2,4 % |
+ 3,5 |
CP |
140,4 |
143,3 |
146,8 |
2,4 % |
+ 3,5 |
|
Pilotage territorial des politiques gouvernementales [04] |
AE |
776,1 |
794,2 |
806,2 |
1,5 % |
+ 12 |
CP |
776,1 |
794,2 |
806,2 |
1,5 % |
+ 12 |
|
Fonctionnement courant de l'administration territoriale [05] |
AE |
696,9 |
692,7 |
695,4 |
0,4 % |
+ 2,7 |
CP |
669,1 |
683,7 |
684,8 |
0,2 % |
+ 1,1 |
|
Dépenses immobilières de l'administration territoriale [06] |
AE |
370,3 |
354,5 |
424,9 |
19,9 % |
+ 70,4 |
CP |
337,3 |
313,3 |
354,9 |
13,3 % |
+ 41,6 |
|
Total du programme 354 |
AE |
2 668,3 |
2 633,2 |
2 746,3 |
4,3 % |
+ 113,1 |
CP |
2 607,6 |
2 583,2 |
2 665,6 |
3,1 % |
+ 82,4 |
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Dans ce contexte, toutes les actions du programme 354 sont en hausse, et en particulier l'action 06 afférente aux dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État.
2. Un rehaussement des dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État cependant en décalage avec l'ampleur des besoins
a) Un parc immobilier hétérogène et peu conforme aux objectifs de transition énergétique, ayant fait l'objet de mesures de restrictions budgétaires constantes
Le patrimoine de l'administration territoriale de l'État (ATE) comporte 2 871 bâtiments hébergeant près de 75 000 agents pour une surface utile brute (SUB) de plus de 3 millions de m², soit 3 % de la SUB de l'ensemble des bâtiments occupés par l'État et ses opérateurs.
Le périmètre immobilier du programme 354
Le périmètre immobilier du programme 354 « Administration territoriale de l'État » vise les services des :
- 101 préfectures situées en métropole et départements régions d'outre-mer, ainsi que leurs sous-préfectures ;
- 235 directions départementales interministérielles (DDI) ;
- 65 directions régionales du champ de l'administration territoriale de l'État (DR du périmètre administration territoriale de l'État - ATE), dont 20 en départements ou région d'outre-mer ;
- 28 services de l'éducation nationale installés en cité administrative, dans des locaux communs avec les précédents services.
Source : projet annuel de performances de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 2025
Les bâtiments préfectoraux représentent une surface totale de 1,8 million de m², tandis que le parc immobilier des DDI et des DR du périmètre ATE représente un peu plus de 1,3 million de m². Ces sites peuvent relever de trois statuts patrimoniaux (domanial, mis à disposition25(*) ou pris à bail par l'État).
Il convient de relever à ce titre que l'État loue aussi des espaces occupés à des bailleurs privés. En effet, plus de 320 000 m² des services de l'administration territoriale de l'État sont loués, ce qui représente près de 10 % des surfaces occupées par ces services. Or, la location représente des montants conséquents en termes de dépenses de fonctionnement. En 2023, ces dépenses se sont élevées à 91,32 millions d'euros, soit 27 % des dépenses immobilières du programme. Ainsi, les loyers externes ont représenté à eux seuls près de deux fois et demi (241 %) les dépenses d'investissement immobilier.
Répartition des dépenses immobilières du programme 354 en 2023
(en CP, en pourcentage des dépenses)
Source : rapport annuel de performances pour l'année 2023 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État »
Il est ressorti du contrôle budgétaire26(*) mené par la rapporteure spéciale au printemps dernier que le patrimoine de l'administration territoriale de l'État est en mauvais état et dans une situation préoccupante. Il a en effet fait l'objet d'un sous-investissement continu, dans le cadre d'arbitrages budgétaires perdus au profit d'autres postes de dépenses du ministère de l'intérieur, et notamment les projets d'investissements d'ampleur portés par le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », tels que le site Universeine et le site unique du renseignement Intérieur qui représentent respectivement 287 millions d'euros et 1,29 milliard d'euros.
Par ailleurs, les annulations de crédits découlant du décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d'euros n'ont pas épargné les dépenses immobilières du programme 354 et ont conduit au report de projets concernant notamment des opérations de désamiantage, d'isolation, de réfection des toitures à la suite d'infiltrations.
Or, 16 % des bâtiments de l'administration territoriale de l'État sont considérés comme peu ou non conformes au référentiel de la direction de l'immobilier de l'État (DIE). S'agissant plus particulièrement de l'impératif de transition écologique, l'immobilier de l'administration territoriale de l'État accuse un retard important en matière de rénovation thermique, en l'absence de planification solide des besoins de rénovation énergétique, et alors même que les obligations nationales et européennes se renforcent dans ce domaine. En effet, la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments, adoptée en avril 2024, apporte de nouvelles obligations aux États membres de l'Union européenne. Ces derniers devront « rénover les 16 % de bâtiments les moins performants d'ici à 2030 et les 26 % les moins performants d'ici à 2033. »27(*) Ainsi, en application de cette directive, « tous les bâtiments neufs devraient être à émissions nulles d'ici à 2030, et les bâtiments existants devraient être transformés en bâtiments à émissions nulles d'ici à 2050. »28(*)
b) Une augmentation des dépenses immobilières, principalement ciblée sur les propriétés de l'État, mais encore largement en-deçà des besoins identifiés
Le projet de loi de finances pour 2025, sans être à la hauteur des besoins identifiés par la rapporteure spéciale lors de son contrôle budgétaire, traduit un effort à destination de l'immobilier de l'administration territoriale de l'État.
Les dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État, portées par l'action 06 du programme 354, s'élèvent à 424,9 millions d'euros en AE et 354,9 millions d'euros en CP pour 2025, contre 354,5 millions d'euros en AE et 313,3 millions d'euros en CP en 2024. Ces dépenses sont dès lors en hausse de 19,9 % en AE et de 13,3 % en CP par rapport à l'année 2024.
Plus particulièrement, les crédits demandés pour l'investissement de l'État propriétaire, qui représentent près de 76 % de ses dépenses immobilières, s'élèvent pour 2025 à 83,5 millions d'euros en AE et 60,5 millions d'euros en CP, soit une hausse de 33,4 % en AE et de 37,5 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Depuis l'entrée dans la programmation en 2023 dans le cadre de la LOPMI, les dépenses d'investissement en CP de l'administration territoriale de l'État se sont progressivement accrues, passant de 38 millions d'euros en 2023, à 47 millions d'euros en 2024 puis 65 millions d'euros en 2025, soit une hausse de 71 % entre 2023 et 2025.
La direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) indique que cet effort d'investissement servira principalement au soutien de la stratégie d'entretien et de rénovation du patrimoine immobilier de l'administration territoriale de l'État, afin de rénover énergétiquement les bâtiments, et de réduire leur consommation d'énergie d'ici 2050.
Au titre des entretiens lourds et de transition énergétique, plusieurs opérations sont envisagées pour 2025, avec la réfection de la toiture et des façades de la préfecture de Lyon pour 2,45 millions d'euros en AE comme en CP, le désamiantage de la préfecture de Bastia pour 4,2 millions d'euros en AE et 4,45 millions d'euros en CP, ou encore les travaux de sécurisation électrique et de mise aux normes de l'hôtel préfectoral d'Amiens pour 2,2 millions d'euros en CP. Plusieurs constructions neuves et acquisitions sont également prévues pour 2025, avec la poursuite de l'extension de la préfecture de Mamoudzou pour 2,9 millions d'euros en CP et la poursuite de la construction de la nouvelle sous-préfecture de Palaiseau pour près d'un million d'euros, en AE comme en CP. Hors activités du programme national d'équipement (PNE)29(*), la DMATES a mentionné que l'enveloppe d'investissement déconcentrée (EMIR), qui finance en régions les travaux du propriétaire du réseau préfectoral inférieurs à 0,1 million d'euros, a été revalorisée de 20 millions d'euros pour 2025 par rapport à son montant de 2024.
S'agissant des dépenses de fonctionnement de l'action 06, largement affectées à l'État occupant, elles sont aussi en hausse en 2025, de l'ordre de + 17 % en AE et + 9 % en CP par rapport à 2024, pour s'établir à 337,1 millions d'euros en AE et 290,1 millions d'euros en CP.
Évolution des dépenses immobilières
de l'administration territoriale de l'État de 2020 à 2025
(en millions d'euros, en CP)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Une fois de plus, les loyers représentent une grande partie des dépenses immobilières de l'État occupant, de l'ordre de 33 % de ses dépenses, et s'élèvent, pour 2025, à 96,8 millions d'euros en AE et 97,6 millions d'euros en CP. Ainsi, les dépenses de loyers augmentent de 19 % en AE et de 7 % en CP par rapport aux loyers constatés en 2023. Rien que pour la préfecture d'Indre-et-Loire, les loyers s'élèvent à plus de 40 000 euros par an30(*).
Si la rappporteure spéciale salue l'augmentation de la demande de crédits à destination des dépenses d'investissement de l'administration territoriale de l'État, elle ne peut que regretter l'absence d'adéquation à la hauteur des défis de la transition écologique, et ce alors même que les dépenses hors titre 2 du programme 354 sont supérieures de plus de 1 % en CP à la trajectoire financière prévue pour 2025 par la LOPMI31(*). Par suite, la rapporteure spéciale constate que les arbitrages hors titre 2 sont souvent opérés au détriment des dépenses d'investissement, d'autant plus en l'absence de stratégie claire et ambitieuse de transition énergétique du patrimoine immobilier de l'administration territoriale de l'État.
* 24 Voir supra.
* 25 De nombreux bâtiments sont mis à disposition par les collectivités territoriales et n'ont pas changé de statut depuis les lois de décentralisation.
* 26 Rapport d'information n° 769 (2023-2024), déposé le 24 septembre 2024, sur l'immobilier de l'administration territoriale de l'État, par Mme Florence Blatrix Contat.
* 27 Adoption d'une directive sur la performance énergétique des bâtiments pour réduire les factures énergétiques et réduire les émissions, Représentation en France de la commission européenne, 12 avril 2024.
* 28 Directive (UE) 2024/1275 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 sur la performance énergétique des bâtiments (refonte).
* 29 Le PNE a vocation à financer les opérations d'investissement dont le montant est supérieur à 0,1 million d'euros sur le périmètre des préfectures et des résidences préfectorales, vecteur national centralisé portant les ressources immobilières de l'État propriétaire.
* 30 Selon les informations transmises par la préfecture lors du déplacement de la rapporteure spéciale. À cela s'ajoutent d'autres loyers divers, de 40 000 euros également pour les directions départementales des territoires (DDT) et les locaux du sous-préfet à la relance.
* 31 Voir infra.