C. UN NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DU PILOTAGE DES CRÉDITS ALLOUÉS À LA PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE ET LA RADICALISATION, AINSI QU'À LA VIDÉO-PROTECTION
1. Une clarification nécessaire des actions financées par le biais du fonds interministériel de prévention de la délinquance à l'occasion de la création d'une délégation interministérielle
a) La transformation bienvenue du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation en délégation interministérielle, dont les contours doivent encore être précisés
Le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » finance aussi le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), pour lequel le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) coordonne l'utilisation des crédits et arrête notamment la répartition entre les différentes unités opérationnelles.
L'évolution de l'activité et des relations avec le politique du SG-CIPDR a malheureusement conduit, comme l'a montré le rapport de la mission sur le fonds Marianne, à « un mélange des genres regrettable »65(*). Au-delà des recommandations de la mission, il semble indispensable de tirer des enseignements sur le rôle du SG-CIPDR et son positionnement, même si sa structure évolue progressivement66(*).
L'année 2025 doit acter la transformation du SG-CIPDR en délégation interministérielle, que la rapporteure spéciale appelait de ses voeux l'an passé, dans la lignée de la proposition du rapport de l'inspection générale de l'administration sur l'évolution de l'organisation et des missions du SG-CIPDR. Cette transformation doit permettre de renforcer le caractère interministériel de la structure, et de donner à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. Reconnu comme directeur d'une administration centrale, le délégué interministériel serait ainsi nommé en conseil des ministres. Il conviendrait, plus largement, que les experts recrutés au sein du SG-CIPDR représentent bien les différents ministères. Les ministères sociaux, le ministère de la justice ou encore celui de l'éducation nationale doivent être pleinement impliqués dans les différentes stratégies de lutte contre la prévention de la délinquance et de la radicalisation.
Cette évolution doit notamment passer par la normalisation de la situation des agents de l'unité du contre discours républicain, qui doivent pouvoir être des agents titulaires. Il conviendrait, comme le propose le rapport de l'inspection générale de l'administration, de régulariser ces emplois en les intégrant au schéma d'emploi du programme 216. Pour ce faire, la rapporteure spéciale considère qu'un rehaussement du plafond d'emplois du programme s'impose.
À la date du présent rapport, le projet de nouveau statut du SG-CIPDR, suspendu pendant la période de la dissolution, est toujours en cours, et doit être prochainement acté lors d'une réunion interministérielle, selon les informations fournies par son secrétaire général.
b) La transparence de la répartition territoriale des crédits doit être accrue, de même que les actions financées
Les crédits demandés dans le présent projet de loi de finances pour le FIPD s'élèvent à 62,41 millions d'euros en AE comme en CP, soit un montant stable par rapport à 2024, auquel s'ajoute les 31,9 millions d'euros, en hausse par rapport à 2024, destinés à financer le déploiement de dispositifs de vidéoprotection sur la voie publique du ministère de l'intérieur, des collectivités territoriales et des acteurs privés, dont les crédits sont regroupés depuis la loi de finances pour 2024 au sein d'une nouvelle action 11 éponyme.
Les dépenses d'intervention du FIPD, qui composent la quasi-totalité de ses crédits, ont vocation à financer de multiples actions regroupées en quatre thématiques : la prévention de la délinquance (dit « programme D »), la prévention de la radicalisation (dit « programme R »), des dispositifs de sécurisation des établissements scolaires et sites sensibles (dits « programmes S et K »), et enfin, les actions de prévention des dérives sectaires. Au fil des années, les actions financées par ce fonds se sont diversifiées, notamment avec le rattachement de la MIVILUDES en 2020 ou encore le financement du déploiement d'intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie (ISCG) sur le programme D, si bien que l'intitulé du fonds n'a plus grand chose à voir avec la diversité des actions financées.
Dépenses d'intervention du FIPD en 2025
(en millions d'euros)
|
Actions financées |
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Prévention de la délinquance (D) |
Actions en faveur des jeunes exposés à la délinquance ou la récidive, des personnes vulnérables, pour améliorer la tranquillité publiques et soutien et ingénierie aux projets |
38,4 |
39,5 |
Prévention de la radicalisation (R) |
Mise en oeuvre du plan national de prévention de la radicalisation, financement des quartiers de reconquête républicaine (QRR) |
12,7 |
13,1 |
Sécurisation |
Sécurisation des sites exposés aux risques terroristes (établissements scolaires et lieux de cultes) et subventions d'équipements des polices municipales |
10 |
8,7 |
Lutte contre les dérives sectaires |
Campagnes nationales de prévention et soutiens aux associations, pilotées par la MIVILUDES |
1 |
0,7 |
TOTAL |
62,1 |
62 |
* La lutte contre les dérives sectaires était intégrée au programme R jusqu'en 2024, mais s'autonomisera en 2025. 1 million était consacré en 2024 dans le programme R, sur les 13,7 millions alloués à ce programme.
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Il ressort des auditions et déplacements menés par la rapporteure spéciale au moins deux sujets dans l'attribution des crédits du FIPD : d'une part, des critères de répartition territoriale des crédits assez peu transparents, et d'autre part, un problème de lisibilité des actions financées alimenté par la fongibilité des enveloppes des programmes financés.
En premier lieu, l'attribution initiale des crédits dépend du SG-CIPDR67(*), qui notifie aux régions leurs dotations annuelles pour les programmes D, R et S. Le préfet de région procède alors à l'affectation des crédits à chaque département, puis il appartient au préfet de département d'attribuer les crédits à partir d'un appel à projets départemental. Il apparaît que les modalités d'attribution des crédits sont assez peu transparentes et harmonisées à tous les stades de la procédure. Les crédits sont répartis par le SG-CIPDR entre régions en fonction notamment de la taille des départements, de l'importance de la délinquance constatée dans la région et du nombre de personnes radicalisées. Selon les données transmises par le SG-CIPDR, l'Ile-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur attraient à elles seules plus de 30 % des dotations totales, avec respectivement 10,7 et 4,8 millions d'euros en 2024. Toutefois, la clé de répartition plus précise n'a pas été fournie à la rapporteure spéciale.
S'agissant ensuite de la répartition au sein des régions et par les préfets de département, la Cour des comptes a constaté des modalités de répartition divergentes selon les régions « mais relèvent souvent d'une reconduction des répartitions passées »68(*), et une répartition par les préfets de département des crédits avant même que les orientations fixées par la circulaire annuelle ne soient connues, caractérisant plus globalement une « gestion du FIPD défaillante ».
En second lieu, s'il convient de saluer la souplesse dans l'exécution des crédits permise par la fongibilité des crédits entre les trois programmes D, R et S gérés au niveau départemental, portée à 30 % en 202369(*), il est ressorti de l'audition du SG-CIPDR menée par la rapporteure spéciale un certain dévoiement dans l'utilisation des crédits. Faute de dépôt de projets par des associations, les crédits a priori fléchés pour la prévention de la radicalisation sont, de fait, utilisés dans plusieurs départements pour équiper les communes en dispositifs de vidéoprotection, et constituent ainsi des enveloppes complémentaires d'achat de caméra. A contrario, le seuil de 30 % peut aussi être trop contraignant pour certains départements, peu exposés au phénomène de radicalisation. Ainsi, lors de son déplacement, la rapporteure spéciale a pu constater que, faute de nombreux appels à projet en lien avec la radicalisation, le département allait organiser un « escape game » sur le communautarisme.
Dans ce contexte, la rapporteure spéciale estime qu'il convient d'accroître la transparence quant à la clé de répartition des crédits, qui doit être améliorée pour mieux tenir compte des besoins au niveau local.
Les intervenants
sociaux au sein des commissariats de police
et des
unités de gendarmerie (ISCG)
Dans le cadre de la stratégie nationale prévention de la délinquance 2020-2024, l'objectif fixé est que tous les départements soient dotés d'au moins deux intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie (ISCG).
Pour ce faire, dans le cadre de la LOPMI, il est prévu la création de 200 postes supplémentaires, pour aller jusqu'à 600 postes, ce qui représente 40 créations de postes par an sur toute la durée de la programmation.
Dans les territoires, il revient au préfet de piloter le déploiement du dispositif, en mobilisant les financements de différents partenaires : le conseil départemental, les conseils municipaux mais également des associations. Le préfet dispose pour ce faire des crédits du FIPD, qui lui permettent de donner une impulsion au dispositif : ainsi, le fonds couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième.
Selon les informations transmises par le SG-CIPDR, la prise en charge à 30 % par le FIPD, sera maintenue en 2025. Ainsi, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, 9,5 millions en CP sont prévus au sein du programme de prévention de la délinquance afin de financer les postes d'ISCG, soit une augmentation de + 0,5 million par rapport à 2024.
Si les objectifs n'ont jamais été atteints entre 2020 et 2023 du fait notamment de la difficulté des territoires à construire des partenariats financiers pérennes, des progrès importants ont été réalisés. Ainsi, tous les départements sont aujourd'hui dotés d'au moins un ISCG depuis la fin de l'année 2023. Entre 2019 et 2023, leur nombre est passé de 281 à 468 ISCG fin 2023. En fin d'année 2024, 480 ISCG sont en poste sur tout le territoire.
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
2. Des dépenses de vidéoprotection de la voie publique en augmentation, mais des paiements toujours en attente dans les territoires
Depuis le 1er janvier 2024, la gestion des crédits de vidéoprotection, hors établissements scolaire et lieux de cultes, portés par l'action 11 du programme 216, est confiée à la direction des entreprises et des partenariats de sécurité et des armes (DEPSA), créée par décret du 5 juillet 2023. Ainsi, la DEPSA est en charge du pilotage de tous les projets de vidéoprotection sur la voie publique portés par les communes et les dispositifs de caméra installés par les bailleurs sociaux.
Alors même que leur gestion a été transférée à la DEPSA, ces crédits relèvent toujours en 2025 du FIPD. S'agissant d'une éventuelle adaptation du cadre financier de ces subventions de vidéoprotection, aligné pour l'heure sur les modalités de gestion et d'engagement des crédits du FIPD, la DEPSA a indiqué à la rapporteure spéciale que « ce sujet fait actuellement l'objet de réflexions dont les points d'aboutissements possibles ne sont pas encore connus »70(*).
Partant du constat que les demandes de subventions de dispositifs de vidéoprotection sont depuis de nombreuses années structurellement supérieures aux volumes financés71(*), le projet de loi de finances pour 2025 procède à une augmentation de 7 millions des crédits de l'action 11, passant ainsi de 24,9 millions d'euros en 2024 à 31,9 millions d'euros en AE comme en CP en 2025. Cette hausse de plus de 28 % des crédits en 2025 permettra de financer le déport d'images vers les centres opérationnels de police et de gendarmerie nationales pour maximiser l'impact opérationnel des dispositifs déployés par les collectivités, le développement de centres de supervision urbains (CSU) mutualisés entre communes de moyenne et petite tailles ou, en application des nouvelles opportunités offertes par la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dans le cadre de syndicats mixtes, les dispositifs figurant dans les contrats de sécurité intégrée (CSI), le renouvellement des dispositifs devenus obsolètes ou encore le déploiement de dispositifs de vidéoprotection pour la sécurisation des transports.
Or, la revalorisation des moyens dédiés à la vidéoprotection s'inscrit dans un contexte d'augmentation des restes à payer du FIPD, dont le montant s'élève à 41,98 millions d'euros fin 2023, soit 51 % des ressources totales du FIPD pour l'année de référence. Ainsi, la Cour des comptes a constaté que « sur l'ensemble de la période 2016-2023, l'essentiel des restes à payer est constitué par le volet « S » sécurisation du FIPD, pour 313 millions d'euros, et plus particulièrement la vidéoprotection qui représente à elle seule 27,1 millions d'euros soit 87 % des restes à payer du volet S et 65 % de l'ensemble des restes à payer »72(*).
La rapporteure spéciale déplore que la création de la DEPSA ne se soit pas accompagnée, pour l'heure, d'une revue des différents engagements gérés au niveau des préfectures. En effet, lors de son déplacement en Indre-et-Loire, les services préfectoraux ont indiqué à la rapporteure spéciale qu'ils n'avaient jamais eu de retour de la DEPSA sur les demandes de vidéoprotection des communes formulées en 2024, qui prend la forme d'un tableau transmis à cette direction, et que la préfecture a dû engager des dépenses, avec des paiements qui n'ont pour l'heure pas été reçus. Sollicitée sur ce point précis, la DEPSA n'a pas fourni d'éléments de réponse à la rapporteure spéciale.
* 65 Le fonds Marianne : la dérive d'un coup politique - Rapport d'information n° 829 (2022-2023), tome I, déposé le 4 juillet 2023, Jean-François Husson.
* 66 En août 2023, la nomination comme nouveau secrétaire général d'un ancien magistrat, a initié sa réforme, complétée en septembre 2024 par le recrutement d'une administratrice de l'État à la tête d'un département des actions transversales et des ressources en préfiguration de la nouvelle organisation et la transformation en une délégation interministérielle, permet de consolider les fonctions de contrôle administratif et financier au sein du SG-CIPDR.
* 67 La direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier (DEPAFI), en tant que responsable de programme, délègue au BOP FIPD une large majorité des crédits ouverts en loi de finances initiale. En 2024, 44 millions ont été délégués par le SG-CIPDR.
* 68 Le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation - Exercices 2018-2022, Cour des comptes, novembre 2023.
* 69 Seulement 20 % des crédits étaient fongibles jusqu'en 2022.
* 70 Contribution écrite de la DEPSA.
* 71 La DEPSA a par exemple indiqué que l'exercice 2023 s'est clos avec des dizaines de projets non financés, parfaitement pertinents et souhaitables, qui auraient nécessité environ 8 millions d'euros supplémentaires et ce, en dépit de la fongibilité alors possible jusqu'à hauteur de 30 % depuis les autres programmes du FIPD et dont bénéficiaient très largement les projets de vidéoprotection.
* 72 Note d'exécution budgétaire 2023 de la mission AGTE, Cour des comptes, avril 2024.