B. REPENSER LE FINANCEMENT DE L'AGENCE NATIONALE DU SPORT

1. Un financement qui ne doit pas être trop dépendant de la conjoncture

Depuis 2019, le soutien au mouvement sportif s'exerce pour sa majeure partie par l'intermédiaire de l'Agence nationale du sport (ANS). Celle-ci est constituée sous forme de groupement d'intérêt public (GIP) agrégeant l'État, le mouvement sportif, les associations représentant les collectivités territoriales4(*) et les acteurs du monde économique5(*). Ses missions ont été énoncées par la loi du 1er août 20196(*) : elle intervient dans une double perspective de développement de l'accès à la pratique sportive pour tous et de structuration de la haute performance.

En dépit du statut juridique de GIP, la convention constitutive7(*) de l'agence prévoit que seul l'État apportera des contributions financières, sous la forme d'une dotation du programme 219 et de taxes affectées.

C'est à l'agence qu'il revient de soutenir et de suivre les fédérations sportives, avec lesquelles elle doit directement conclure les conventions d'objectifs, ainsi que d'accompagner les collectivités territoriales et leurs groupements, en reprenant les missions exercées précédemment par le Centre national pour le développement du sport (CNDS).

Pour 2025, la subvention versée à l'ANS est de 179,12 millions d'euros, en baisse de 91,8 millions d'euros par rapport à l'année dernière (270,9 millions d'euros). La principale raison de cette baisse de plus d'un tiers des crédits provient de l'absence de crédits de paiement pour le plan « génération 2024 » décrite supra, pour un montant de 80 millions d'euros. Le reste de la baisse s'explique par la fin des mesures exceptionnelles relatives aux Jeux olympiques et paralympiques.

Le montant des taxes affectées perçues par l'agence est de 160,1 millions d'euros, ce qui porte l'ensemble de ses ressources (hors mécénat et autres recettes) à 339,2 millions d'euros.

À l'heure actuelle, l'Agence nationale du sport perçoit trois taxes affectées : un prélèvement sur les paris sportifs, un sur les jeux d'argent et de hasard exploités par la Française des jeux (FDJ), et enfin la taxe sur les droits de diffusion des compétitions sportives, couramment appelée la « taxe Buffet ».

La taxe Buffet

La « contribution sur la cession à un service de télévision des droits de diffusion de manifestations ou de compétitions sportives », plus communément appelée taxe Buffet, est une taxe introduite en 2000, qui a vocation à financer le sport amateur grâce au sport professionnel, dans une logique de solidarité. La contribution est assise sur les sommes hors taxe sur la valeur ajoutée perçues au titre de la cession des droits de diffusion.

La taxe est inscrite à l'article 302 bis ZE du code général des impôts. L'article dispose que le « taux de la contribution est fixé à 5 % du montant des encaissements » et que la « contribution est constatée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée ».

Depuis 2019, le produit de la taxe est affecté intégralement à l'Agence nationale du sport.

Source : commission des finances

L'affectation de la taxe sur les jeux exploités par la Française des jeux (hors paris sportifs) à l'ANS est supprimée dans le PLF pour 2025 à la suite de la dernière réforme de la loi organique relative à la loi de finances (LOLF)8(*). En effet, l'article 2 de la LOLF dispose désormais que les impositions de toutes natures ne peuvent être affectées à un tiers que « si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. » En conséquence, le plafond de l'affectation du prélèvement sur les paris sportifs en ligne de la Française des jeux a été réhaussé à 100,4 millions d'euros.

Taxes affectées à l'Agence nationale du sport

(en millions d'euros)

 

Plafond 2022

Plafond 2023

Plafond 2024

Plafond 2025

Taxe buffet

74,1

59,7

59,7

59,7

Prélèvement sur les jeux exploités par la Française des jeux (FDJ) hors paris sportifs

71,8

71,8

71,8

-

Prélèvement sur les paris sportifs en ligne de la FDJ et des nouveaux opérateurs agréés

34,6

34,6

34,6

100,4

Total

180,5

166,1

166,1

160,1

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le total des taxes affectées à l'ANS est toutefois en baisse de 6 millions d'euros par rapport aux années précédentes. Cette somme qui n'a pas été compensée par le prélèvement sur les paris sportifs en ligne correspond à une mesure d'économie sur le budget de l'ANS.

Surtout, la taxe Buffet soulève une nouvelle fois des interrogations sérieuses, en raison des difficultés de négociation des droits de la ligue 1. Sur la période 2024-2029, la Ligue française de football (LFP) devrait percevoir au titre des droits télévisuels de la Ligue 1 et de la Ligue 2 un total de 678,5 millions d'euros par an, contre 743 millions d'euros par saison dans le cadre du contrat précédent.

Ce manque à gagner aura des conséquences sur le rendement de la taxe Buffet jusqu'à l'exercice 2028, au minimum, qui devrait se traduire par une baisse des financements de l'ANS de 4 millions d'euros par an.

En outre, la LFP a prévu une clause de sortie du contrat avec DAZN au bout de deux saisons, c'est-à-dire à la mi-2026. Le diffuseur beIN sport dispose quant à lui d'une clause contractuelle de sortie automatique après deux ans si le contrat avec DAZN n'est pas renouvelé. Par conséquent, l'incertitude sur les droits audiovisuels de la ligue 1, et donc le produit de la « taxe Buffet », pourrait revenir dès 2026. Les difficultés financières des clubs français représentent par ailleurs une contrainte supplémentaire sur la valorisation des championnats9(*).

Le rendement de la taxe Buffet avait déjà été mis en doute lors de l'affaire « Médiapro ». La défaillance du diffuseur avait conduit à une forte diminution des droits de la Ligue 1, estimée à 575 millions d'euros, qui a conduit à un écart entre les prévisions et le rendement de 14,4 millions d'euros par an. Ce manque à gagner a été compensé par des crédits budgétaires inscrit pour l'ANS en 2023 et en 2024.

En 2021, pour renforcer les moyens de l'Agence, le Gouvernement a préféré le relèvement du plafond de fiscalité affectée à une majoration de sa dotation budgétaire. Contestable au regard de l'orthodoxie budgétaire et des pouvoirs de contrôle du Parlement, cette orientation prenait acte de la forte progression du rendement de la taxe Buffet entre 2019 et 2020 (+ 37 %) et d'une forte demande du mouvement sportif pour que « le sport finance le sport ».

Le rapporteur spécial souligne une nouvelle fois le risque d'une systématisation de la compensation de la taxe Buffet en cas de recettes inférieures aux prévisions. La mise en place d'une compensation systématique reviendrait à transférer des risques financiers au budget de l'État. Or, les finances publiques n'ont pas vocation à supporter les aléas de la négociation des droits audiovisuels des retransmissions sportives.

En effet, d'autres facteurs de risque, comme la réduction du nombre de diffuseurs susceptibles de proposer une offre ou le dynamisme des championnats concurrents relèvent du fonctionnement « normal » du marché.

En sens inverse, durant les années qui ont précédé la crise sanitaire, la forte appréciation des droits de la ligue 1 a été en partie le résultat d'une « bulle de marché ». La progression du produit de la taxe Buffet provenait quasi exclusivement de l'appréciation des droits télévisés de la Ligue 1 au titre du contrat de diffusion, passés de 726 millions d'euros par saison pour la période 2016-2020 à 1,153 milliard d'euros pour la période 2020-2024. Le relèvement du plafond de la taxe en 2021 était donc précipité.

Cette baisse du plafond de taxe affectée n'est pas qu'un simple événement conjoncturel, mais elle montre de manière plus profonde les faiblesses du financement de l'ANS. Dans son rapport de juillet 2022, « L'Agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport », la Cour des comptes qualifiait le financement de l'Agence d' « inutilement complexe », et préconisait de financer l'opérateur intégralement sur le montant de la dotation budgétaire issue du programme 219.

Le rapporteur spécial ne plaide pas pour la suppression de l'affectation des taxes à l'Agence nationale du sport, celles-ci étant un symbole fort de la solidarité entre le sport professionnel et amateur, mais il soutient leur limitation, afin d'éviter que le financement du sport soit dépendant de la conjoncture du marché des droits télévisés.

2. La réforme de la gouvernance du sport se poursuit

L'actualité a été marquée par les difficultés rencontrées dans la gouvernance de plusieurs instances du sport français, et notamment la Fédération française de football (FFF) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Ces problématiques ne sont pas directement liées à la mission « Sport, jeunesse et vie associative », mais elles ont mis en avant la nécessité d'avoir une gouvernance du sport solide à l'échelle nationale.

La Cour des comptes a consacré un rapport à ce sujet, qui a été publié en juillet 2022. La Cour fait le constat d'une réorganisation « inachevée » de la direction des sports, et d'une articulation insuffisante entre l'action de la direction et celle de l'ANS. Elle recommande donc de clarifier les missions respectives de la direction des sports et de l'ANS, et de réaffirmer la tutelle stratégique de la direction sur l'agence. En outre, la délimitation du périmètre d'action de l'ANS et de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP), en matière de développement de la haute performance, n'est pas toujours clair.

Le rapporteur spécial partage cette conclusion. La « nouvelle gouvernance du sport » doit bien entendu laisser une place importante aux acteurs du sport, mais elle ne doit pas se traduire par un désengagement de l'État.

À la suite de ce rapport, une convention de collaboration entre la direction des sports, l'ANS et l'INSEP a été signée le 17 avril 2023. Elle vise à clarifier le périmètre d'intervention respectif de l'ANS et de l'INSEP dans le champ de la performance sportive.

L'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance

L'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) est un établissement public scientifique culturel et professionnel (EPSCP) constitué sous la forme d'un « grand établissement » au sens de l'article L.717-1 du code de l'éducation.

Les missions exercées par l'INSEP visent principalement à favoriser, en liaison avec les fédérations sportives, les conditions de réussite des projets sportifs, scolaires et professionnels des sportifs de haut niveau. L'INSEP prend ainsi en charge 800 sportifs de haut niveau, dont 547 qui sont accueillis sur le site à l'année.

Les subventions de l'INSEP sur le programme 219 représentent 27 millions d'euros AE = CP pour 2025, contre 26 millions d'euros en AE et 26,5 millions d'euros en CP l'année dernière.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Au niveau territorial les préfets de région ont mis en place en collaboration avec l'ANS des « conférences régionales du sport » dont le secrétariat est assuré par les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (DRAJES).

Si l'ensemble de ces initiatives sont un pas dans la bonne direction, il conviendra d'examiner si elles apportent un véritable changement dans la gouvernance du sport.

Dans ce contexte, le rapporteur spécial réitère son approbation de l'abandon du projet de transfert des conseillers techniques et sportifs (CTS) aux fédérations, acté par le ministère des sports en septembre 2020. Depuis plusieurs années, ce projet suscitait l'inquiétude de nombreuses fédérations de taille modeste, dont les ressources propres ne permettent pas de préserver ces compétences en leur sein.

D'après la direction des sports, un premier chantier vise à ce que la direction puisse être capable de donner précisément le nombre de CTS travaillant dans chaque domaine d'intervention, par la refonte de leur lettre de mission. Les CTS ont en effet vocation à exercer leur mission dans quatre domaines : la stratégie sportive, le développement des pratiques, la haute performance et le contrôle de la réglementation de l'enseignement du sport.

La refonte de la lettre de mission des CTS doit être l'occasion de donner plus de visibilité à leur action, et de les mobiliser davantage dans la conduite des politiques publiques du sport ou des projets de développement interfédéraux.


* 4 À savoir l'Association des régions de France, l'Assemblée des départements de France, France urbaine et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité.

* 5 Les droits de vote sont répartis à 30 % chacun pour l'État, les collectivités territoriales et le mouvement sportif, et à 10 % pour le monde économique.

* 6 Loi n° 2019-812 du 1er août 2019 relative à la création de l'Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

* 7 Arrêté du 20 avril 2019 portant approbation de la convention constitutive du groupement d'intérêt public dénommé « Agence nationale du sport ».

* 8 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

* 9 « Ligue 1 : la grande désillusion économique du foot français », Le Monde, 23 octobre 2024

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